"Les Chinois, ils se fichaient pas mal, à cette époque, ils n’avaient aucune considération pour les tués et les blessés, ça n’avait pas importance. Ils attaquaient en masse tout simplement."
On était là depuis quelques, deux semaines, quand la plus grande bataille à laquelle j’ai participé a eu lieu, et ce fut la dernière bataille d’importance pour les Canadiens qui ont combattu en Corée, ça s’est passé dans la nuit du 2 au 3 mai 1953 lors de l’attaque du 3e bataillon du Royal Canadian Regiment par les Chinois.
Or, ma batterie s’appelait la Batterie Roger, et les Chinois avaient bombardé le 3e Bataillon pratiquement sans arrêt pendant près de 13 jours, donc tout le monde savait qu’il allait se passer quelque chose, mais on ne savait pas quand ni ce que ça allait être. Mais cette nuit-là, la nuit du 2 au 3 mai, le RCR, d’une autre compagnie, ils ont envoyé une patrouille de 16 hommes. Or la seule manière de traverser les champs de mines, c’était en passant par le peloton 7 de la compagnie D, et c’était là où les Chinois tiraient.
Et le commandant du peloton 7 de la compagnie D était un gars qui s’appelait Ed Hollyer que je connaissais et encore aujourd’hui, il est toujours en vie.* Et en fait, la patrouille est partie, les 16 hommes, et ils n’étaient pas sortis depuis longtemps quand ils sont tombés dans une embuscade. Ils étaient partis pour tendre une embuscade aux Chinois et ce sont eux qui se sont retrouvés piégés par les Chinois. Et leur chef, le 2e lieutenant Gerry Maynell a été tué, et une deuxième patrouille s’est précipitée à la rescousse pour les aider à rentrer et l’officier qui conduisait cette patrouille a été tué lui aussi (Lieutenant Doug Banton). Le reste de la patrouille a réussi à revenir.
Pendant ce temps, nous (le 4e régiment du Royal Canadian Horse Artillery), on s’occupait des tirs défensifs dans cette zone en essayant de maintenir les Chinois à distance. En tout cas, les patrouilles étaient revenues et les Chinois ont levé leur barrage et ensuite des nuées de soldats ont déboulé. Les Chinois, ils se fichaient pas mal, à cette époque, ils n’avaient aucune considération pour les tués et les blessés, ça n’avait pas importance. Ils attaquaient en masse tout simplement. Et c’était un drill. Le premier groupe d’assaillants traversait le champ de mines en courant, faisant exploser les mines et sautant avec elles. Le groupe suivant se jetait sur les barbelés et les soldats suivants leur grimpaient simplement dessus pour entrer dans la position, c’était ça leur tactique. Je veux dire, que c’est quelque chose que nous n’aurions jamais, jamais fait, mais eux oui.
Et, en tout cas, ce qu’ils ont fait, ils sont entrés dans la position du peloton 7 et ont complètement envahi l’endroit. Et alors, Ed Hollyer, par le biais des communications, nous a contactés et il a réclamé qu’on tire sur sa position avec des obus à éclatement aérien. En même temps qu’il essayait de ramener tous ses hommes dans les bunkers.** Donc c’est ce que nous avons fait. On a tiré des obus à éclatement aérien pour ne pas blesser les gens qui étaient dans les souterrains. Mais ça répandait pas mal de débris à la surface sur les Chinois qui couraient dans tous les sens.
Finalement, on a fait ça deux fois, à deux moments différents. Pendant ce temps, tous les autres canons de la (1re) division du Commonwealth procédaient à toutes sortes de tirs défensifs dans cette zone. Et les Chinois ont fini par se retirer. Et ce fut la bataille qui a fait le plus de victimes parmi les Canadiens qui ont combattu en Corée. On a eu 26 morts au sein du RCR, deux artilleurs de ma batterie sont morts. Il y a eu 25 à 27 blessés, et les Chinois avaient pris sept prisonniers. De leur côté, bien sûr, il y a eu beaucoup de victimes, mais ça n’avait pas l’air de les affecter. Et ils sont repartis de l’autre côté de la vallée, il n’y avait que six ou sept cents mètres qui nous séparaient du côté de la vallée où se trouvaient leurs propres collines.
Dès les premières lueurs, on a envoyé un « AOP »*** et d’ailleurs il s’agissait d’un Canadien, Peter Tees. On l’a envoyé là-haut, ou la division l’a envoyé là-haut plutôt, et il a découvert que quelques Chinois essayaient encore de repasser de l’autre côté de la vallée en plein jour. Alors il a fait appel à l’artillerie divisionnaire au grand complet. À savoir 72 canons de 25 livres [Ordnance QF] et huit canons de 20 cm pour tirer sur ces gens. Il s’en est donné à cœur joie ce jour-là à faire les repérages de l’artillerie.
Mais à ce moment-là, évidemment, la bataille était finie et c’est ainsi que ça s’est terminé.
*M. Hollyer est décédé le 4 juillet 2013.
**M. Hollyer a reçu la Croix Militaire pour ses actions au combat.
***« Air observation post » ; un avion militaire qui fait des observations passives ou actives dans les combats d’artillerie.